644 – Vous êtes un corps parlant, vous rêvez, vous ne savez pas vraiment ce que vous dites, des nappes d’oubli à vos dépens. Allongez-vous, racontez-moi ce qui vous passe par la tête. Je me tais, ou j’interviens très brièvement. N’oubliez pas d’arriver à l’heure, et, à la fin de la séance, de me payer rubis sur l’ongle. C’est capital.

643- Vous êtes fou ou vous êtes folle, mais tout vous interdit d’en prendre conscience. Vous-même, vous évitez d’en savoir trop long à ce sujet. On va vous le démontrer raisonnablement. Voilà ce que se dit Nora, qui a vécu sa propre saison en enfer. Donnez-moi vos phrases, je vais essayer de vous tirer de votre bourbier infantile. J’écoute, la société déborde et bavarde, j’attends l’occasion. 

642 – Vous imaginez toutes les embrouilles, les ruses, les échappatoires, les scènes de ménage, le chantage permanent, les fausses réconciliations, les graves blessures narcissiques dans l’océan du ressentiment.

Je passe sur les pensions alimentaires, les querelles d’appartements, les adoptions exotiques risquées, les crémations émouvantes avec discours et musique enregistrée au funérarium. Toutes ces existences, réduites en cendres, se retrouvent dans une urne posée dans le coffre-fort d’une voiture qui roule vers le lieu prévu pour la dispersion. Beaucoup choisissent l’eau, la Seine a ses stars. La vieille inhumation, avec curé et perspective résurrectionnelle, n’a plus cours. On entasse des fleurs au four crématoire, et puis on les jette. Des couronnes se dissipent en fumée, avec des rubans d’amour.
[L’INFINI n°139. Printemps 2017.]

ph sollers -sigmund-freud einstein