Archives des articles tagués Titien

447 – Il y a toute une géographie clandestine de Debord, c’est encore là une façon de vivre, les voyages à Londres, à Florence, l’Espagne, les femmes, pas n’importe lesquelles, les étrangères, dont les photographies sont là dans les Œuvres cinématographiques complètes. On a tendance à oublier qu’un homme a vécu avec des femmes de façon très libre. C’est une façon de se comporter, dans la vie amoureuse, lié à l’aimantation des lieux : Séville, Arles, Venise. Une Venise clandestine, une Venise de guerre. Et puis il y a sa voix dans ses films, je m’intéresse beaucoup aux voix des écrivains. (2001)

 446 – Les Vénus de Titien, on ne les a jamais vues. On peut se passer de mythologie, ça dépend du moment. L’Église catholique a couvert les femmes extatiques de la peinture en fermant les yeux. Quand vous entrez dans les églises italiennes, il y a tout ce qu’il faut comme formes qui doivent vous transporter… Quand Dieu est là, on peut se faufiler. Mais là, Dieu n’y est pas, ou plutôt son absence s’incarne avec un maximum d’insolence. Pour les crétins de l’époque, la mort de Dieu devait déboucher de façon « moderne » sur des nymphes en stuc. Manet est venu défoncer ce décor. (2010)

445 – Elle a le langage secret de l’amour. La littérature, c’est elle. Chez Stendhal, l’amour n’est pas fait pour marcher, mais pour transformer la perception de ce qu’il est en train de vivre. Pour moi, cette magie opératoire a marché : les choses se passent en fonction de l’espace où je suis au moment où j’écris. Le livre provoque la vie, les effets sociaux s’ensuivent, comme par enchantement. (2011)

 444 – Mao a cautionné les pires pratiques. Sa vie personnelle est d’ailleurs tragique : deuxième femme décapitée par les nationalistes, tombe de ses parents profanée, troisième femme grièvement blessée pendant la Longue Marche, enfants abandonnés en cours de route chez des paysans, un fils malade mental, un autre tué ensuite en Corée, etc. Réponse : le lit, les femmes, les livres. (2005)

443- Le libertinage, en fait, est une école philosophique de pureté intransigeante. Dès qu’il y entre le moindre atome de vulgarité, c’est fini. Sade, vous l’avez compris, est énorme, mais jamais vulgaire. Or la planète est en train de se vautrer, par tous les bouts, dans une vulgarité massive insensée. (2001)

 442 – C’est une présence féminine. Venise et la Vierge Marie, c’est pareil ! C’est cette féminité qui déplaisait à Sartre. (2011)
[FUGUES. Éditions Gallimard, 2012]

Guy Ernest Debord, Anvers 1962.

Guy Ernest Debord, Anvers 1962.

 

 

 

 

385 – Dès ma première rencontre avec Lucie, une formule espagnole m’est venue à l’esprit : « los ojos con mucha noche », les yeux avec beaucoup de nuit. Les « coups de foudre » sont rares, les coups de nuit encore plus. Les tableaux où Lucie apparaîtraient, si j’étais peintre, devraient être envahis par l’intensité de ce noir sans lequel il n’y a pas d’éclaircie. Noir et halo bleuté.

384 – Après avoir été religieux, totalitaires, fonctionnaires, publicitaires, les nouveaux imposteurs sont devenus purement techniques. Achetez, communiquez, consommez, communiquez. Allez-y, allez-y, vous n’empêcherez pas l’éclaircie.

383 – En 1968, à 87 ans, Picasso est plus déchaîné que jamais, et ses « étreintes » provoquent un scandale. Les Américains sont furieux, les communistes aussi. Grâce aux ravages du combattant Picasso, la grande éclaircie rétroactive commence.

382 – La « quatrième dimension » est atteinte, elle a comme effet de faire venir le futur du passé, le passé du futur, le présent de leur rencontre furtive, explosive, atomique. L’éclaircie rétroactive qui se produit ici n’a rien de réactionnaire ou de « passéiste ». Manet pouvait être librement Titien ou Vélasquez, Cézanne Giotto, Rodin Michel-Ange, et, tous à la fois, Picasso. Le dé qui abolit le hasard est un cube magique.

381 – J’entends la voix d’Anne, lointaine, j’ai 22 ans, beaucoup de choses à traverser, d’autres livres à écrire. Dans le chaos actuel, j’aime que le livre, qui rime ici avec Lucie, s’appelle L’Éclaircie.
[ L’ÉCLAIRCIE. Éditions Gallimard, 2012/214.]

 

Philippe Sollers, L'Eclaircie, janvier 124.


336 – Les grottes de Lascaux sont « modernes », Titien est « moderne », Manet est « moderne ». Toutes ces œuvres sont la continuation de l’art par d’autres moyens selon le temps. Le marché de l’art raconte maintenant qu’il y aurait un art moderne et on en arrive ainsi à la bouillie contemporaine. On ne doit pas non plus prendre Manet pour un impressionniste. C’est encore une autre façon de brouiller les cartes et d’éviter de parler de ce qu’il y a d’essentiel dans l’art de Manet : c’est-à-dire une révolution. Et, on peut avancer que ce qu’il réalise est une renaissance, une renaissance de l’art à partir d’un moment où il a été, d’une certaine manière, occulté, offusqué, détruit. C’est le monde tel qu’il va, qui va contre l’art, c’est la société qui va sans arrêt contre l’art ainsi que les différents pouvoirs.

335 – Qu’a voulu faire Manet dans ses tableaux ? Mettre en situation, dans des petits drames, des romans, quelqu’un qui est là quand d’autres ne sont pas là ! Il y a deux figures à droite absolument absentes, et, il y a, tout à coup, trouant le tableau (Le Balcon), la figure, le visage, les yeux, le regard de Berthe Morisot qui va être une de ses grandes histoires de peinture. Il faut voir les femmes chez Manet, sans quoi on ne voit rien. Je me demande pourquoi un philosophe de la dimension de Michel Foucault, mais peut-être tout philosophe après tout, ne peut pas voir des femmes en peinture ou bien éviter le sujet.

334 – Chez Manet, les femmes sont partout : Victorine Meurent, Berthe Morisot, Méry Laurent, etc. L’atelier était rempli de femmes, et de fleurs sur la fin… Si on censure les femmes de Manet, que reste-t-il ? Vous avez vu une seule femme chez Mondrian, Kandinsky, Pollock, Chagall, les peintres préférés de Houellebecq, qui les juge supérieurs à Picasso ? Avez-vous vu une seule femme chez Rothko ou Newman ? … Non, n’est-ce pas ? C’est très difficile. Avez-vous vu une seule femme chez Braque, ou Juan Gris et tous ceux qu’on nomme les cubistes ? Non ! Avez-vous  vu des femmes chez Picasso ? Ah, mais oui ! Plein.

333 – Manet utilise le principe de froideur dans L’Exécution de Maximilien, tableau où la mort s’administre à bout portant dans une indifférence complète… Ce n’est pas du tout le Tres de Mayo lyrique de Goya. Manet refroidit ça, et ça n’en devient que plus horrible. On fusille à bout portant, la peinture est à bout portant… Il y a un message politique de Manet très clair dans L’Exécution de Maximilien et l’exécution des communards. On va à la mort de masse froide, indifférente, ce n’est pas la guillotine, il n’y a aucun effet mélodramatique dans sa peinture. C’est la révulsion violente !  Et L’Olympia est un coup de feu contre les femmes artificielles de l’époque : elle atteint de plein fouet la sexualité corrompue de la société.
[LA RÉVOLUTION MANET, L’Infini n°114]

Edouard Manet, L'Olympia 1863