Archives des articles tagués Désir

723- Le Philosophe est protégé par son innocence. Comme celle-ci se situe avant le péché originel, elle a de quoi donner le vertige. L’Homme de Désir est le contraire de l’homme du torrent des générations. Il ne peut compter que sur la parole, « feu radical et central », où « même les paroles muettes, prononcées tacitement dans le secret de notre être, peuvent se transformer en substance active » :

« Le silence a aussi ses échos, et l’homme ne peut produire une pensée, une parole ou un acte que cela ne s’exprime sur l’éternel miroir où tout se grave et rien ne s’efface. »

[DÉSIR, Éditions Gallimard, 2020.]

Louis Claude de Saint-Martin, Amboise.

690- Mais le visage que je préférais d’elle, c’était le visage d’après l’amour, que je n’ai jamais retrouvé ensuite parmi tous les visages que j’ai empruntés. C’était peu de dire qu’elle s’épanouissait. Il me semblait que par quelque mystérieuse transformation sa figure fût envahie d’une couleur inconnue, qu’elle la restituât dans la douceur d’un halètement. Mais surtout, ce qui me bouleversait toujours, c’était, comme épandu sur la pellicule de tendresse qui estompait ses yeux, son nez, son sourire, une incroyable certitude dont le plaisir (car elle n’aimait que lui) était sa source.

 689- Oui, je ne séparais pas – je n’ai jamais séparé – le fait de vivre de celui d’éprouver du plaisir. L’instinct de la volupté est, chez moi, le premier à vouloir. Et les souvenirs qu’il me donne, non seulement je les accueille en moi avec reconnaissance, non seulement j’ose croire qu’ils me seront de quelque utilité au moment de mourir, mais ils me pacifient et me rassurent quant au bon emploi de ma vie, mais ils exaltent mon amour de la conquête et les raffinements que je lui porte.

 688- Moi qui ne comprenais pas un traître mot et préférais un mensonge bien dit à une vérité silencieuse, j’avais plus besoin de cette expression anodine que de la muette certitude de son affection et de son désir. Et certes, je pouvais disposer de son corps, mais rien de sa mémoire, de sa pensée – à supposer qu’elle existât – ne m’était accessible. Et au lieu de me contenter du plaisir comme tant d’autres l’eussent fait, je ne pouvais admettre que, de quelque manière, elle ne me dévoilât pas ses souvenirs, ses sentiments. Toujours j’ai souffert, envers autrui, d’un manque d’indifférence. Amoureux, je le devinais lentement par dépit de la voir si tranquille. La sagesse eût été de la prendre et – pour le reste – de garder le silence. Je le savais bien, sans vouloir le savoir.

 687- C’est toujours une nouvelle douloureuse pour notre vanité – mais aussi enchanté – que d’apprendre par hasard qu’un être aimé peut vivre en dehors de notre pouvoir, de nos meilleures hypothèses à son égard.
[UNE CURIEUSE SOLITUDE, Editions du seuil, 1958.]

El Greco, le martyre de saint-maurice